NOUVELLE VAGUE

Si vous n’aimez pas les films en noir et blanc, si vous n’aimez pas la jeunesse, si vous n’aimez pas vous amuser… allez vous faire foutre !
Après que le Redoutable Hazanavicius ait descendu l’immortel Jean-Luc de son piédestal pour le charrier avec affection, que Godard ait enfin accédé à la mortalité soixante-trois ans après les mots définitifs prononcés par Jean-Pierre Melville l’Américain dans À bout de souffle, il était logique que ce soit un Texan qui ressuscite cet instant où un jeune débutant, débordant d’excitation et d’optimisme, referme ses Cahiers et envoie valdinguer le carcan des films de studios à la fin de l été 1959
Richard Linklater en était à ce moment de la vie où un cinéaste est tenté de faire un film sur le cinéma, mais pour lui, se regarder le nombril ne pouvait faire qu’un film « dégueulasse », et plutôt que nous infliger une énième « cinécure », il a préféré écrire une lettre d’amour, filmer l’essence et l’énergie de ce qui fait une première fois, « l’affrontement entre une confiance extrême et une profonde insécurité due au manque d’expérience, la passion inépuisable qui chaque jour se confronte à l’instabilité d’un travail qui implique tellement de gens ». Il a donc choisi de nous faire revivre le tournage d’À bout de souffle, le film qui lui a donné l’envie d’en faire à son tour, pour que n’importe quel spectateur en sortant, emporté par la houle, puisse se dire : « moi aussi, je peux le faire, et d’ailleurs, je vais le faire ! ».
Linklater étant ce qu’il est, du genre méticuleux et tenace (rappelez-vous notamment l’extraordinaire Boyhood où il avait filmé durant douze années un enfant grandir), amoureux du cinéma français (il a créé une cinémathèque à Austin et y organise chaque année une semaine consacrée au cinéma français), il a apporté un soin passionné à chaque étape, à commencer par le casting qui a duré six mois pour trouver ces inconnus qui incarnent magnifiquement toute la bande de cette époque-là comme si on y était. L’illusion est absolument incroyable, on n’est pas du tout dans un musée de cire, on vit l’instant présent d’un réalisateur qui débute et on s’amuse à tourner avec lui, se demandant si le film sortira un jour, dans les rues, dans les chambres d’hôtels, avec juste quelques lampes éclairant le plafond, sans prise de son directe, Godard écrivant ses dialogues sur une table de bistrot, soufflant leur texte aux comédiens pendant les prises et arrêtant de filmer quand il n’avait plus d’idées, croisant au détour d’une scène ses compères des Cahiers. Linklater a repeint Paris en noir et blanc mais la peinture est toute fraîche. Il a réussi à recréer la spontanéité, l’immédiateté et cette « improvisation » qui étaient dans l’air du temps, ainsi que la drôlerie irrésistible de ce tournage qui ne ressemblait à aucun autre avant lui.
Godard avait dit : « Je croyais que je filmais le Fils de Scarface ou le Retour de Scarface et j’ai compris que j’avais plutôt tourné Alice au pays des merveilles. » Linklater à son tour nous fait passer de l’autre côté du miroir et regarder cette histoire sous un angle nouveau. Nouvelle Vague saisit, avant qu’elle ne disparaisse, au rythme effréné de vingt-quatre battements par seconde, la vérité de cette bulle de savon qu’on regarde s’envoler, émerveillés, le souffle court, jusqu’au bout de sa course folle.(Utopia)