Soirée Entretoiles à 2 films
Dimanche 14 Décembre 2025
L'ÉPREUVE DU FEU à 18H00
Réalisé par Aurélien PEYRE - France 2025 1h45 - avec Félix Lefebvre, Anja Verderosa, Suzanne Jouannet, Victor Bonnel... Scénario d’Aurélien Peyre et Charlotte Sanson.
Sur la petite île de l’Océan Atlantique si chère à Agnès Varda, Noirmoutier, débarquent Hugo et Queen. Ils sont très jeunes, même pas vingt ans, leur liaison n’en est qu’à ses débuts, elle balbutie au rythme des maladresses du garçon et des extravagances de la fille. Hugo n’est pas très sûr de lui, hésitant, alors que Queen affiche une assurance plastique soulignée par ses tenues, son maquillage et ses prothèses ongulaires. Ils ne font pas partie du même monde, c’est clair, mais la petite maison familiale sur la petite île pourrait être un nid parfait pour voir éclore et s’épanouir un véritable amour : seuls au monde…
Seuls ? Ils ne vont pas le rester longtemps… C’est les vacances et la jeunesse dorée du continent s’installe dans les belles villas de papa et maman qui ne sont pas encore arrivés. Ces jeunes, Hugo les connaît et ils connaissent Hugo qui jusque-là ne faisait pas vraiment partie de la bande, trop timoré, trop empoté, sans doute un peu moins privilégié que les autres… et surtout trop gros : le grassouillet de service que tout le monde vannait.
Mais Hugo a changé, il s’est transformé, il a fait du sport, il a perdu trente kilos et il a une copine ! Cela sera-t-il suffisant pour avoir plus de crédit auprès des autres et intégrer le groupe… avec Queen à ses côtés ? Queen sera-t-elle l’instrument de son sacre ou celui de sa chute ? Hugo et Queen vont-ils être assez forts pour gagner au jeu des liaisons dangereuses auxquels s’adonnent leurs « nouveaux amis » ? L’intérêt du film n’est pas de deviner quelles seront les réponses à ces questions mais plutôt d’éprouver les tensions et les doutes qui traversent des personnages en quête d’identité et de reconnaissance.
Le jeu d’Anja Verderosa, dont c’est le premier rôle au cinéma, et de Félix Lefebvre, qui interprètent Queen et Hugo, est subtil et intense à la fois. Anja Verderosa nous permet de dépasser les apparences d’une « bimbo » pour comprendre qui est profondément Queen, quels sont les sentiments et les valeurs qui l’animent : elle lui donne une profondeur et une fragilité que nos préjugés n’attendaient pas. Hugo incarne quant à lui avec justesse une génération de jeunes hommes soumis à des injonctions contradictoires : la déconstruction masculine n’a pas encore brisé le miroir aux alouettes de la virilité…
Le réalisateur explore les failles de ses personnages pour sonder ce qui les lie malgré leurs différences : « Finalement c’est peut-être ce qui les rapproche le plus l’un de l’autre : ils dissimulent leur personnalité profonde de peur qu’on ne les rejette. »
Faire partie du groupe, être prêt à tout pour ne pas être rejeté, mentir aux autres, se dissimuler, se mentir à soi-même pour ne pas être exclu, quitte à perdre ce à quoi l’on tient profondément. Le film donne un coup de jeune au constat tragique du Huis clos de Sartre : « L’enfer, c’est les autres. ». À l’heure des réseaux sociaux, le film confronte la question de la responsabilité individuelle à celle de la responsabilité collective dans un monde où les adultes, comme dans le film, sont parfois cruellement absents.
Aurélien Peyre dépasse le simple dilemme de la discordance sociale en nous plongeant dans la complexité d’une reconfiguration contemporaine des sentiments où les codes ne sont plus seulement ceux d’une classe mais aussi ceux de modes de consommation et de communication qui les transcendent en uniformisant les désirs de chaque génération. (Utopia)
Apéritif Entretoiles Offert à 19H45
NINO à 20H30
Écrit et réalisé par Pauline LOQUÈS - France 2025 1h36 - avec Théodore Pellerin, Salomé Dewaels, William Lebghil, Jeanne Balibar, Camille Rutherford, Mathieu Amalric... Collaboration au scénario : Maud Ameline.lm. 
Présenté dans le formidable vivier de premiers films programmés par la très précieuse sélection de la Semaine de la Critique du Festival de Cannes 2025, Nino n’a laissé personne indifférent. Ce personnage qui apprend, dès les premières minutes du film, sa maladie et la nécessité de commencer un traitement, est né de la tristesse de sa réalisatrice et scénariste Pauline Loquès, qui a perdu un proche terrassé dans la force de l’âge. Mais la puissance de l’écriture conjure ici l’expérience du deuil pour raconter l’histoire d’une lutte et d’un homme qui, en se heurtant au réel, va apprendre à renouer contact avec lui. La réalisatrice confie avoir eu un coup de foudre pour ce personnage qui émergeait au fil de son écriture, et c’est exactement ce qui s’impose au spectateur. Dans ce portrait en actes, cahotant et fragile, une tendresse profonde se construit pour ce jeune homme obligé de composer avec plus grand que lui. Nino évite tous les pièges d’un tel sujet en optant systématiquement pour le pas de côté, dès sa singulière ouverture où l’annonce au patient se fait dans le malentendu, comme pour en désactiver la charge pathétique. Les maladresses seront d’ailleurs nombreuses dans ce récit où tout semble à construire (comme en témoigne la présence des ouvriers dans le cabinet médical), et où tout peut se briser, comme cette pile d’assiettes qui se fracasse au sol, provoquant autant de gêne qu’une nouvelle forme de complicité entre Nino et une ancienne camarade de collège qu’il avait perdue de vue. Lorsque Nino demande au médecin « C’est quoi les chances de mourir ? », cette dernière lui répond qu’on s’interroge plus généralement sur les chances de vivre… C’est là le paradoxe fécond de ce récit sobre qui, loin d’être gangréné par la maladie, trace des lignes directrices vers un combat pour la vie – et canalise toutes les énergies nécessaires pour le mener à bien. Et tout le périple qui suit, resserré sur trois jours, se fait dans un entre-deux (entre le diagnostic et le début du traitement), un temps mort dans lequel surgit la vie. La galerie de personnages, superbement écrits ou esquissés au fil de rencontres éphémères, dessine une humanité touchante, faillible, maladroite. Un vieux marginal, un enfant à qui raconter des histoires, une femme qui s’en va, une autre qui apparaît. Nino esquive, se confie plus aux inconnus qu’aux intimes, et Théodore Pellerin, dans le rôle-titre, crève littéralement l’écran. Sous le patronage généreux de Jeanne Balibar et Mathieu Amalric, apparitions fugaces mais essentielles, le parcours de Nino, sonné et tout d’abord marqué par le déni, est tout sauf égocentré : alors que son ami lui assène maladroitement que « parfois faut pas trop s’écouter non plus », le jeune homme n’a de cesse, presque malgré lui, de se consacrer aux autres.
Enfermé dehors, au propre comme au figuré, Nino se confronte à une ville mouvante et profuse, où de nombreuses silhouettes crient silencieusement leur solitude. Avant de prendre soin de lui, il s’agit donc d’en sauver quelques autres, confirmant ainsi le portrait que sa mère faisait de lui à sa naissance : « on aurait dit que tu voyais tout mais que tu regardais rien. » Poussé vers la lumière par la caméra bienveillante de Pauline Loquès, Nino travaille à recouvrer la vue, et, qui sait, la vie.(Utopia)