Cinéclub
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MÉMOIRES D'UN ESCARGOT
(MEMOIR OF A SNAIL) Écrit et réalisé par Adam ELLIOT - film d’animation Australie 2024 1h34mn VOSTF - ATTENTION : cette merveille d’animation au ton mélancolique, vibrante d’humanisme et bourrée d’un humour féroce, même si elle recèle des trésors et des leçons de vie qui ne leur feraient pas de mal, n’est pas destinée aux enfants. En tous cas, pas avant 12-13 ans

À la mort de son père, la vie heureuse et marginale de Grace Pudel, collectionneuse d’escargots et passionnée de lecture, vole en éclats. Arrachée à son frère jumeau Gilbert, elle atterrit dans une famille d’accueil à l’autre bout de l’Australie. Suspendue aux lettres de son frère, ignorée par ses tuteurs et harcelée par ses camarades de classe, Grace s’enfonce dans le désespoir. Jusqu’à la rencontre salvatrice avec Pinky, une octogénaire excentrique qui va lui apprendre à aimer la vie et à sortir de sa coquille…
S’il y a un détail qui caractérise les films d’Adam Elliott (qui n’avait pas réalisé de long métrage depuis le très beau Mary & Max en 2009 !), c’est bien les yeux qu’il donne à ses personnages : immenses et tombants, à la fois porteurs d’espoir et de chagrin. Ceux de Grace s’avèrent encore plus surdimensionnés. Il faut dire que sa vie n’a pas commencé sous les meilleurs auspices : sa mère est décédée en donnant naissance à des jumeaux, son père, paralysé depuis un accident, a sombré dans l’alcoolisme. Quant à son frère, il a d’inquiétantes tendances pyromanes… Et pourtant, son enfance se déroule dans une harmonie plutôt joyeuse.
Lorsqu’elle fait le bilan de son existence, Grace se définit comme « un verre à moitié plein », qui comble sa moitié vide avec la lecture de romans à l’eau de rose et la compagnie (envahissante) des gastéropodes – auxquels, à force de s’être construit une carapace pour se protéger du monde, elle a fini par s’identifier. Bien qu’explorant par le menu les multiples traumatismes de la jeune fille, tout l’enjeu du film sera de colmater ses failles émotionnelles pour l’amener à s’ouvrir au monde. Mémoires d’un escargot use pour y parvenir d’un ton étonnant, alignant moments d’une immense drôlerie, mais aussi pas mal de mélancolie et un soupçon de colère. Soit peu ou prou les étapes d’un processus de reconstruction de soi. Part thérapeutique du film qui se confirme avec l’entrée en scène de Pinky, mamie aussi ridée que décapante, qui n’hésite pas à faire des doigts d’honneur à quiconque la juge, soigne sa trouille de la sénilité à la marijuana et dispute des parties de ping-pong endiablées avec Fidel Castro. Dans un univers visuel terne, qui décline volontiers une palette de gris et de marron, Pinky incarne la lumière qui va guider Grace.
Il n’est pas anodin que ce génial long métrage soit fait de pâte à modeler : il exprime comment des êtres peuvent se remodeler, les creux et les pleins apparaissant sur la texture même des personnages. De même, les décors fourmillant de détails, reflet du bric-à-brac surchargé qu’est l’esprit de Grace, contribuent à faire de Mémoires d’un escargot un film très singulier, malléable, tendre et dur, fourmillant d’idées et merveilleusement poétique. Adam Elliott y trace sa voie, magnifique et solitaire, entre étrangeté formelle et scénario vantant les imperfections (un univers résumé par une phrase du film : « Sans obscurité, la lumière n’a pas de sens ») ou la référence marquée au Kintsugi, cet art japonais consistant à rénover des objets abîmés sans faire disparaître leurs fissures. Le résultat est saisissant : nous sommes emportés par la puissance émotionnelle de Mémoires d’un escargot, qui transcende un récit de deuil et ses cicatrices en celui d’une renaissance apaisée. (A.M., V.O. magazine)